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Cities of refuge
8 min read

Casa Refugio Citlaltépetl, refuge d’écrivains au Mexique

Credits Text: Philippe Ollé-Laprune March 10 2016

Depuis 1999 une maison située dans le quartier de la Condesa à Mexico reçoit des écrivains réfugiés, poursuivant ainsi une tradition solidement installée au Mexique : donner asile à des artistes et intellectuels menacés dans leur pays d’origine. Dans le passé cette ville a reçu aussi bien Victor Serge qu’ Ana Seghers, Luis Cernuda que Benjamin Péret, tous écrivains persécutés dans leur propre pays. Cette maison fait partie du réseau ICORN (International Cities of Refuge Network) basé à Stavanger en Norvège. Elle remplit une triple fonctions : Recevoir 2 auteurs en résidence pendant deux ans, animer la maison avec des activités liés à la littérature, la pensée et l’exil et produire des livres et une revue, Líneas de fuga (Lignes de fuite).

Le trait le plus singulier de son fonctionnement se trouve dans ces résidences d’écrivains, poussés à l’exil et souvent désireux de découvrir la culture mexicaine et d’y participer. Ces auteurs sont proposés par ICORN. Une fois que l’écrivain accepte l’invitation, un billet d’avion est mis en place et lui permet de voyager jusqu’à Mexico. L’équipe de la Casa va le chercher à l’aéroport et la découverte réciproque peut commencer. Ils séjournent deux ans dans un des appartements mis à leur disposition, équipés de meubles, couverts etc…

Tout de suite on lui explique qu’après la première année il faudra réfléchir à son avenir, à savoir s’il voudra rester au Mexique ou trouver un autre lieu d’accueil. S’il en est d’accord il commence des cours d’espagnol et, pour certains, cet apprentissage permet de participer à la vie littéraire locale. L’auteur est vite publié en espagnol dans la revue de la Casa et on lui organise une conférence de presse qui lui permet de faire connaître son œuvre et sa situation. Par ailleurs, quand ils s’en sentent capables, ils peuvent donner une lecture et parler en public aussi bien dans la salle de conférence de la Casa que dans d’autres lieux, festivals ou salons du livre.

Sur les 12 écrivains qui y ont séjourné depuis 1999 quatre ont décidé de rester au Mexique, trouvant des emplois dans le monde académique ou culturel mexicain. Koulsy Lamko, auteur tchadien, est resté et a fondé une autre maison refuge dans le centre historique de la Ville de México. Bon nombre de ces résidents ont publié un ou plusieurs livres au Mexique grâce à la politique de coéditions que mène la Casa. Le premier, Vladimir Arsenijevic, romancier serbe, a publié un roman chez Alfaguara, prestigieuse maison d’éditions d’origine espagnole. Le cas le plus surprenant est peut-être celui du poète kosovar Xhevdet Bajraj qui a décidé de rester vivre au Mexique avec sa famille. Il est professeur de poésie contemporaine à l’université de la Ville de Mexico et a publié plusieurs livres en espagnol. Le premier a été traduit de l’albanais à l’espagnol par un traducteur vivant à Madrid. Le second a été traduit par lui-même et sa femme puis retravaillé avec un poète mexicain. Et le dernier livre a été écrit en espagnol puis retouché par un auteur local pour des questions de style. Cette évolution linguistique, ce glissement progressif vers l’espagnol, est le symbole de son adaptation dans une culture qu’il a appris à connaître au fil des ans et qui lui a réservé un accueil formidable.

Le poète iranien Mohsen Emadi est lui aussi resté vivre au Mexique ; il a vite appris l’espagnol, aidé par un incontestable talent de polyglotte. Très vite il a fait partie du paysage littéraire local, participant à de nombreuses lectures dans bien des lieux et des festivals. Il développe aussi un travail de traducteur de poésie, permettant grâce à une page web conçue à cet effet, de faire connaître des textes de poètes du monde entier traduits en farsi. Les lecteurs iraniens ont ainsi accès à des poèmes que les autorités politico-religieuses de ce pays censurent sans relâches. Mohsen a ainsi pu faire passer de l’espagnol à sa langue natale des poèmes de l’argentin Juan Gelman et du mexicain José Emilio Pacheco. Il est l’exemple d’une des intégrations les plus réussies. Shajriza Bogatyreva a elle aussi marqué les esprits mexicains. Venue de Tcherkassy, elle écrit ses textes en russe. Elle a réussi à dominer l’espagnol de telle façon que désormais, vivant à Moscou, elle traduit des textes de cette langue vers le russe, trouvant des lecteurs attentifs à ses choix littéraires.

La Casa a aussi un rôle d’animation littéraire dans une ville très riche en ce domaine. Depuis 16 ans elle est le lieu de conférences, lectures, séminaires et ateliers d’écriture. Un public d’habitués et de curieux s’y retrouve, en particulier les jeudis soir où un événement est proposé avec régularité. Ce sont souvent des cycles thématiques qui permettent à des écrivains de s’exprimer sur des sujets variés : réflexions sur l’écriture même, apports à partir de leurs lectures ou présentations de travaux encore inédits sont quelques uns des mécanismes qui alimentent ces moments offerts au public. Ces jeudis permettent aussi de donner la parole à des écrivains étrangers de passage à Mexico. La présence d’un restaurant et d’une librairie dans la Casa même permet de donner un aspect encore plus convivial à un lieu destiné à l’accueil.

Depuis ces années l’habitude a été prise de consacrer une partie des efforts d’animation à l’organisation de colloque, au sein même de la Casa ou dans des lieux prestigieux comme le palais de Bellas Artes. Des noms aussi fameux que ceux de Salman Rushdie, Wole Soyinka, Edouard Glissant, Antonio Tabucchi, Svetlana Alexievich ou Annie Le Brun se trouvent sur les programmes de ces rencontres. Avec une réputation qui dépasse les frontières du Mexique ce lieu est devenu un centre littéraire et intellectuel qui marque bien des auteurs, en particulier latino-américains.

Les outils dont disposent la Casa sont destinés en priorité au public et sont souvent élaborés grâce à l’appui des écrivains résidents. Par exemple la revue a eu à de nombreuses reprises comme directeur de rédaction l’un d’entre eux : Safaa Fathy a organisé un numéro spécial sur la poésie égyptienne, Alaeedin Molah sur la poésie Syrienne ou Mohsen Emadi sur la poésie palestinienne ou Kurde. Boris Diop a consacré un numéro au thème « écrire dans une langue minoritaire ». Le travail le plus original en ce sens a été la résidence que Koulsy Lamko a réalisée pendant des semaines dans un village de la région de Campeche. Cette petite agglomération, Kesté, est peuplée de réfugiés guatémaltèques qui ont fui leur pays dévasté par la guerre civile dans les années 80. Le gouvernement mexicain les a reçu, leur donné des terres et la possibilité de s’installer. Koulsy a pu cohabiter et donner vie à des réflexions des habitants sur le thème de la mémoire. Le numéro 15 de la revue regroupe aussi bien des témoignages des réfugiés que des textes de l’écrivain africain. Par ailleurs la grande majorité des 12 écrivains reçus à la Casa a été publié au Mexique.

Le thème de l’exil est récurant et constitue un centre de réflexion pour plusieurs types d’activités. Le Mexique est un pays qui a une riche tradition en ce domaine et ces travaux permettent aussi bien la mise en valeur de cet héritage que l’étude approfondie des apports et des bouleversements qu’il provoque. Une exposition de 25 posters sur le thème « Ville de Mexico, ville solidaire, capitale d’exil » a été produite en trois langues, avec un catalogue très réussi. Le livre le plus remarqué dans ce domaine est un luxueux coffret contenant deux ouvrages bilingues de 500 pages chacun : « Paris Mexico, capitales de l’exil ». Grâce aux textes de 48 auteurs le lecteur peut découvrir des histoires de lieux ou de personnages qui illustrent les apports grâce auxquels les exilés ont enrichi ces deux capitales. Loin de vouloir présenter l’exil sous un aspect tragique, ce livre permet de sentir l’aspect constructif de ces flux de personnes à travers le XXème siècle.

La Casa Refugio Citlaltéptel a réussi à fondre dans ses activités l’accueil d’écrivains réfugiés avec une animation culturelle ouverte au public. Après des années de fonctionnement une envie naturelle s’est installée : multiplier des présences de ce type dans d’autre villes d’Amérique latine.

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